Coopératives-négoces Renforcer les liens avec le territoire
Pour permettre à l’intelligence collective de surmonter les écueils et les exigences, les liens tissés avec le territoire peuvent être encore plus aboutis. Coops et négoces s’y engagent, dans un contexte où les Régions prennent de l’ampleur et veulent, heureusement, plus coconstruire qu’imposer. Avec l’objectif de contribuer à consolider ou ouvrir des voies pleines de promesses pour assurer la durabilité du patrimoine Terre. Par Hélène Laurandel, avec les correspondants
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Le lien au territoire, chaque entreprise peut le tisser à sa façon au-delà de son périmètre relationnel quotidien. Suffisamment d’initiatives sur le terrain le démontrent, allant même jusqu’à adopter un nom très terroir, comme la coopérative laitière des Entremonts, en Savoie, rebaptisée « Ici en Chartreuse ». Adhérer à un club d’entreprises, rencontrer la communauté de communes de sa zone d’activité ou encore les écoles, frapper aux portes des associations nature, participer aux dons alimentaires, aux actions de Pôle emploi… Les points d’entrée sont multiples pour faire valoir le bien-fondé de son existence, comme le fait remarquer Christophe Vaurs, en charge du Casdar PAT à La Coopération agricole (lire ci-dessous). Et ainsi faire reculer la méconnaissance des uns et des autres à l’origine d’incompréhensions et de difficultés de cohabitation. Le président de La Coopération agricole, Dominique Chargé, pointe l’importance « à accorder aux enjeux autres que la reterritorialisation de l’alimentation, tel le cadre de vie avec la reconnexion entre agriculture, consommateur et citoyen et des services à faire émerger. »
Faire tomber les cloisons, c’est ce à quoi aspirait Fermes de Figeac en quittant, en juillet dernier, son statut coopératif pour prendre celui de SAS de l’économie sociale et solidaire, afin de s’ouvrir encore plus à son territoire (lire p. 25). Elle était déjà passée dans les années 1990 du statut de coopérative à celui de Sica, afin de pouvoir vendre à des non-adhérents et lancer le dialogue avec les habitants du territoire. Ce nouveau pas ouvre la porte du capital social aux salariés et aux habitants tout en maintenant certains principes coopératifs tel celui du « un homme-une voix ». Et tout en restant fidèle à la sphère de l’économie sociale et solidaire dans laquelle les coops gravitent également. Il est vrai que Fermes de Figeac fait figure de référence et témoigne de l’ampleur du champ des possibles : elle m’a souvent été citée en exemple dans le cadre de ce dossier.
Si les collaborations ne sont pas nouvelles, elles se multiplient, peuvent se faire dans un autre état d’esprit et réunir des partenaires inhabituels. Et peuvent être une nécessité pour des acteurs agricoles qui doivent prouver leur volonté de bien faire.
Les Régions, invitées ici à s’exprimer (p. 26), font part de leur attention à coconstruire régulièrement avec les professionnels à l’image du Grand Est, des Hauts-de-France ou encore de la Nouvelle-Aquitaine, dont sa directrice à l’agriculture, Charlotte Nommé, affirme : « Tout l’intérêt de la Région, c’est de faire multiplier les nouvelles idées et l’innovation, tout en souhaitant aider la profession agricole à être mieux comprise. » D’autant que les Régions ont davantage de marge de manœuvre et de poids, étant devenues chefs de file du développement économique depuis la loi NOTRe.
Toute une culture à acquérir
Aussi, les professionnels ne doivent pas hésiter à se rapprocher des collectivités pour se faire soutenir sur certains projets. « Les projets ne manquent pas dans nos négoces : lentilles et luzerne en Centre-Val de Loire, stockage bio en Beauce. Mais les négociants n’ont pas toujours le réflexe d’en parler. Nous pouvons les accompagner pour qu’ils saisissent la balle au bond », souligne Patricia Ranouil, du Naca. Animateur de Cap Filières grandes cultures à la chambre d’agriculture Centre-Val de Loire, Thierry Bordin observe aussi que « les OS n’ont pas l’habitude des guichets publics pour aller chercher des aides subventionnées. C’est une culture à acquérir. C’est tout un changement culturel important qui demande du temps. » La démarche qu’il anime, lancée par la Région, offre un soutien pour financer, par exemple, du conseil collectif aux agriculteurs ou l’élaboration de cahiers des charges vertueux. « Le Cap Filières grandes cultures a reçu 3 M€ d’aides pour 7 M€ d’investissements sur 2017-2021. »
Et si les entreprises ont besoin d’arguments pour faire valoir leurs actions, le projet Trace peut amener une réponse. Porté par La Coopération agricole Nouvelle-Aquitaine avec le concours de Vertigo Lab et le soutien financier (aux deux tiers) de la Région Nouvelle-Aquitaine, il permet d’évaluer l’impact régional, en chiffre d’affaires et en emplois, de l’activité de l’entreprise analysée, et ce également en regard des autres secteurs d’activité (lire ci-dessus). Ce projet vient de faire l’objet d’une diffusion de ses résultats et de deux outils : un guide sur les bonnes pratiques de l’ancrage territorial et un calculateur simplifié pour permettre aux coops de la région de faire leurs propres calculs, avec l’idée d’en faire un outil national.
Une autre démarche en Nouvelle-Aquitaine, Climafilagri, a pour objectif de mieux faire connaître auprès des collectivités les actions terrain en matière de transition énergétique. Une transition que les territoires s’approprient peu à peu, tout comme l’alimentaire, soit par obligation (avec les PCAET, plans climat air énergie territoriaux, obligatoires pour les EPCI de plus de 20 000 habitants), soit volontairement, par motivation.
Interpeller les élus sur les actions
« Des fiches et des cartes ont été élaborées à partir des diagnostics départementaux ClimAgri et des actions ayant un intérêt. J’ai sollicité le Naca et La Coopération agricole Nouvelle-Aquitaine pour avoir des remontées terrain, relate Thomas Lebargy (chambre d’agriculture de Charente-Maritime). Avec ces supports, les élus peuvent être interpellés sur l’existence, autour de chez eux, de telle action menée par tel négoce ou telle coop. Certaines communautés de commune ne savent pas qu’une coop ou un négoce est présent sur leur territoire. Pour ces entreprises, c’est l’opportunité d’améliorer leur image. Et des crédits appropriés peuvent être demandés auprès des collectivités, pour des actions relevant de la transition énergétique, dont les coops et négoces ont à mesurer tout l’enjeu, avec une agriculture qui pourrait produire 60 à 70 % des énergies renouvelables. » Cette initiative de communication est appelée à être étendue à toute la région. D’ailleurs, le Tuto’com de Passion céréales, « Être identifié des élus de son territoire », pourrait aider à adopter la bonne posture face aux collectivités. Tout comme le futur Théma de La Coopération agricole, à paraître au 1er semestre 2021, sur la façon dont le conseil coopératif prend en charge les attentes des parties prenantes, pourra aussi apporter sa pierre à l’édifice.
Arriver à se faire entendre
« Nous souhaitons être entendus, affirme de son côté Patricia Ranouil. Nous aimerions que les technico-commerciaux de négoces ou de coopératives soient reconnus comme les meilleurs interlocuteurs des agriculteurs. Le programme Re-Source, dans les années 2000 en Poitou-Charentes, a eu du mal à démarrer car il ne touchait que les chambres d’agriculture, alors que l’agriculteur voit beaucoup plus son TC de coop ou de négoce. Un TC qui, en outre, n’est plus un simple vendeur de produits depuis longtemps : le choix des intrants fait partie d’un conseil technique et économique établi pour que l’agriculteur gagne de l’argent. »
Cette aspiration à être entendu est une préoccupation face aux PAT (projets alimentaires territoriaux pour relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires), remis en lumière dans le plan de relance qui leur alloue un budget de 80 M€. La reconnaissance obtenue au niveau des Régions, certes perfectible, ne percole pas toujours en local où se joue plus le PAT. « Nous sommes peu ou pas du tout sollicités pour participer aux discussions dans le cadre des PAT, car nous sommes perçus souvent comme des outils industriels inscrits dans une logique non environnementale et alors hors sujet », avancent Jérémie Bosch et Noémie Barlet, de La Coopération agricole Auvergne-Rhône-Alpes. Or, pour Dominique Chargé, « la réponse à une demande très locale peut risquer de déprofessionnaliser les chaînes d’appro. Aussi, en s’appuyant sur des structures organisées comme les coopératives, la professionnalisation de la gestion des flux est préservée. J’estime également important de préciser que le local n’exclut pas les exportations. » Pascale Gaillot, de la Région Grand Est, considère que « les PAT doivent se donner des objectifs de résultat ». En Nouvelle-Aquitaine, « on veille à ce qu’ils ne soient pas déconnectés de la réalité économique des productions », assure sa directrice à l’agriculture. Afin d’éviter cette déconnexion, Christophe Vaurs invite les coopératives à se rapprocher des PAT de leur territoire. « Nous avons tout intérêt à mettre en avant l’efficacité de nos outils. L’adhésion de LCA au réseau RnPat va dans ce sens car c’est un nouveau pas pour mieux nous faire connaître. »
La dynamique vers de nouveaux liens ne peut d’ailleurs que s’amplifier. Pour répondre à des obligations comme les EGalim. Ou pour régler le problème du foncier à l’installation comme dans le Sud, avec la SCIC Terre Adonis, fruit du partenariat entre les coops, la Safer et la Région. Ou encore pour la mise en place des PSE amenant à se rapprocher d’organisations comme les parcs naturels régionaux, dont une animatrice nous confie : « Nous, animateurs naturalistes, prenons conscience que d’autres facteurs entrent en jeu. Les préjugés sur chacun tombent. » D’autre part, des initiatives collectives ne demandent qu’à être rejointes par les coops et négoces comme Be-Creative (p. 24) ou la nouvelle chaire In’Faaqt, à Toulouse, qui propose un travail collaboratif autour de la transition en filières qualité, avec l’ancrage territorial en filigrane, profitable aux entreprises partenaires et aux étudiants. Un outil comme ClimAgri offre aussi l’opportunité d’une approche collective en rassemblant les acteurs d’une même contrée afin de les sensibiliser aux enjeux des émissions de GES en agriculture. « Il génère une dynamique territoriale en amenant à repenser l’agriculture à l’échelle d’un territoire », précise Audrey Trévisiol, de l’Ademe.
Les synergies possibles sont en fait multiples face à tous les enjeux (lire p. 30). Et les ambitions affichées des conseils régionaux sont autant de portes ouvertes : est ainsi visé le leadership européen du bien manger en Bretagne, de la bioéconomie dans le Grand Est et des protéines en Hauts-de-France. Les prochaines élections régionales vont-elles rebattre les cartes, alors qu’une dynamique intéressante semble s’inscrire peu à peu ?
Pour accéder à l'ensembles nos offres :